Il s’appelle Mimmo.
Il a les mains rugueuses, la peau tannée, les yeux sombres sur un visage fatigué mais encore plein d’espoir.
Mimmo boite suite à une opération du dos, mais il ne peut se détourner ni renoncer à la mer bien qu’il ne sorte plus quand la mer est trop agitée parce que ses jambes ne peuvent plus le soutenir. Il n’a plus la force de sa jeunesse quand il remontait à main nue ses lourds filets gorgés d’eau et poissons.
Une fois encore, Mimmo se lève avant l’aube, et avant que la montre n’indique cinq heures il est déjà prêt à quitter le port pour relever ses filets. Aujourd’hui je l’accompagne.
Mille metres de filets, un bout à la fois, remplissent la poupe du bateau tachant de boue son vieux t-shirt déchiré et la salopette jaune rafistolée avec du scotch adhésif. Le ciel est encore sombre, le soleil est sur le point de se lever juste derrière la côte de San Remo en colorant le bleu d’un rose pâle et en dorant les reflets des vagues. Je suis assise, immobile prête à cueillir l’instant.
Les filets sont vides, parfois un morceau de plastique, des algues ou un merlu. Mimmo remonte : du filet, des déchets, encore des algues. Mais certaines sont de bon augure me dit Mimmo: «Si les algues sont en vie, cela signifie qu’il y a encore la vie là-bas”. Puis, armé d’espoir et de passion il continue à relever. Je suis assise devant la petite cabine de pilotage, les jambes croisées, je ne peux que regarder. Je suis le témoin de la pauvreté de la mer que nous connaissons aujourd’hui. Témoin de ces eaux tristes et vides, et de ce pêcheur qui ne renonce pas, et qui d’un pas instable, minute après minute, mètre après mètre, continue de récolter des gouttes d’eau, un calmar esseulé, les restes d’un poisson mordu, d’un crabe, ou encore des ordures. De temps en temps, Mimmo lève la tête et regarde la mer au loin, derrière moi. Il contrôle où nous en sommes, il y a encore de l’espoir, il reste plusieurs dizaine de mètres de filet sous l’eau, nous n’avons pas encore terminé. Voici que soudainement le filet semble plus lourd. En effet, Mimmo s’arrête prend une pause. De l’eau émerge une forme sombre : un pneu. Voici le plus gros poisson qu’il a pêché aujourd’hui ! D’un plastique noir de noir, un beau pneu où loge un groupe d’étoiles de mer. Mimmo sourit et continue à relever les filets. “Ne pas désespérer, il y a toujours une surprise à la fin !” me dit-il. Pour moi, c’était le pneu la surprise, pour lui, c’est la prise d’un beau poisson, d’une belle pièce à vendre, un signe lui disant que la pêche mérite encore de se lever à quatre heures du matin. La remontée du filet s’achève par une tête de merlu (le corps avait été mangé par les calmars), deux calmars, des algues, du plastique, un poisson moine et d’autres plus petits dont je ne me rappelle pas les noms.
Le bateau est plein de filets étincelants sous les chauds rayons du soleil qui éclairent à présent la mer et le ciel qui se disputent le plus beau bleu. Il reste pour Mimmo à peine une place dans ce bateau débordant, mais en se tenant sur les bords ici et là, il redémarre et fait routre vers sa prochaine étape. Un matelas pneumatique crevé en guise de bâche placé sur le bastingage pour le protéger et il est à nouveau prêt à jeter les filets dans la mer. Ses mains ridées guident d’un geste précis, le filet qui glisse lentement dans l’eau et disparait dans le bleu profond, tandis que poussant la barre avec sa jambe, il conduit le bateau en slalom régulier, “Il faut des virages, c’est là, dans les courbes que le poisson reste emprisonné », “Quel poisson?” me demandai-je silencieuse.
Le bateau vide à nouveau, la cale remplie des deux seules douzaines de poissons capturés, des déchets et de moi-même toujours assise entrain de déclencher mon appareil, essayant d’enregistrer ces moments qui resteront à jamais dans ma mémoire, nous rentrons au port.
Demain, Mimmo sera là, à cinq heures sur son bateau, prêt à relever une fois encore ses filets. Qui sait ? Peut-être cette fois il y aura-t-il une surprise…
Si vous désirez voire les photos prises ce matin là, vous les trouverez ici